Cet article est tiré des propositions de Carême de la revue Christus. Il nous invite à questionner nos rapports avec la nourriture, aidé par Saint Ignace de Loyola.
Un don de Dieu
La nourriture et les repas jouent un grand rôle dans la Bible. Du fruit cueilli par Adam et Eve au repas de l’eucharistie, en passant par la manne au désert et les noces de Cana, beaucoup de moments décisifs se jouent autour d’un repas.
Chez les prophètes, l’annonce d’un temps de paix et de joie après des temps d’épreuve prend des images de banquet. Combien de fois ne voit-on pas Jésus partager le repas de gens très différents, de la famille de Lazare à une table de pharisien en passant par Zachée ou Lévi le publicain. Manger n’est pas anodin. La nourriture est lieu de tentation. Il y a une manière de manger qui respecte Dieu et ce que nous sommes. Il y a une manière de manger qui, en voulant tout absorder, apporte la souffrance et la mort. Ce qui nous fait vivre est alors détourné de sa fin. Au lieu de recevoir un don, nous nous approprions ce don. Nous nous servons.
« Je vous donne toutes les herbes portant semence, qui sont sur la surface de la terre, et tous les arbres qui ont des fruits portant semence, ce sera votre nourriture. » (Genèse 1,29)
Le chemin de la tempérance
Saint Ignace dans ses « Règles pour s’ordonner à l’avenir dans la nourriture » nous indique une voie pour trouver avec elle un juste rapport. Cette voie passe par la tempérance en retranchant ce qui est superflu, et par la pénitence en touchant à ce qui nous est nécessaire. Ignace nous invite à trouver le juste milieu, par ajouts ou retranchements, en usant de ce qui est à notre disposition ou en nous en abstenant pour éviter le désordre. Le manque nous fait sortir de la seule logique du besoin pour laisser émerger notre désir plus profond. Quelque chose se donne à éprouver qui renvoie au donateur de la nourriture car « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu« .
« Tout en prenant garde de ne pas tomber malade, plus on retranchera sur ce qui convient, plus vite on parviendra au milieu qu’il faut garder dans la nourriture et la boisson… En faisant ainsi effort et en s’y disposant, on sentira souvent davantage les connaissances intérieures, les consolations et les inspirations divines pour découvrir le juste milieu convenable. » (Quatrième règle)
Concrètement, comment procéder ?
Se nourrir est un geste quotidien que nous répétons plusieurs fois dans une même journée. Sans devenir des obsédés de ce que nous allons manger, nous pouvons être attentifs à la manière de prendre notre nourriture à travers des gestes très concrets qui sollicitent notre vigilance et notre capacité d’attention.
– Accorder de l’importance aux repas
« Pendant les repas, considérer le Christ notre Seigneur comme si on le voyait manger avec ses apôtres, sa façon de boire, de manger et tâcher de l’imiter. » (Cinquième règle)
La nourriture se partage avec d’autres, le plus souvent au cours d’un repas. C’est le temps de l’échange, de la conversation, de l’ouverture. Manger une même nourriture préparée par l’un des convives n’est pas anodin. Ce rite du repas s’inscrit dans une culture, il nous façonne. Ces gestes qui parfois semblent insignifiants nous humanisent. Jésus n’a pas pris ses repas n’importe comment. Même si nous vivons seuls, il nous est nécessaire de prendre un vrai temps de repas, assis à une table, avec un certain rituel.
– Veiller à nos conversations
« Par-dessus tout, veiller à ce que le cœur ne soit pas tout entier occupé par ce que l’on mange, et à ce qu’en mangeant on ne se laisse pas entraîner par l’appétit, mais que l’on reste maître de soi. » (Sixième règle)
En France, il est très courant de parler de nourriture. Amusons-nous à compter le nombre de repas où le sujet vient sur le tapis. C’est un abondant sujet de conversation. Chacun y va de sa recette plus ou moins tenue secrète ! Nous partageons les subtilités culinaires, les nuances de tel ou tel plat… Cependant, nous avons à veiller au niveau de nos conversations pour nous élever l’esprit et nous nourrir d’autres nourritures que les terrestres. Ce qui nous unit n’est pas seulement la nourriture mais la fraternité, la joie d’être ensemble.
– Prendre le temps de bénir et de rendre grâce
Bénis sois-tu Seigneur pour tous les dons de ta création. Bénis sois-tu pour la nourriture partagée lors de ce repas. Qu’il nous ouvre au partage et à la louange.
La pratique du bénédicité s’est un peu perdue dans nos familles. Pourtant quel beau geste que de bénir Dieu pour les dons qu’il nous procure chaque jour et de le reconnaître comme la source de tous ces dons. Quel beau geste que de lui rendre grâce en nous tournant vers lui. Par ces gestes, nous nous rendons présents à sa présence dans nos vies. Nous donnons sens à nos existences, nous donnons du relief au quotidien comme lieu de rencontre de Dieu. Nous retrouvons le sens du sacré. Nous nous inscrivons dans le prolongement de l’eucharistie du dimanche.
Cet article est tiré des propositions de Carême de la revue Christus