La résurrection ne signifie pas la réanimation d'un cadavre, un mort revenant à la vie dans les conditions où il se trouvait avant de mourir. La résurrection du Christ bouleverse radicalement ces conditions. Certes, le Ressuscité est bien réel, il se laisse toucher par Thomas, il partage la nourriture avec ses disciples et pourtant il est différent, “ sous une autre forme ”, dit la finale de Marc, de sorte que Marie de Magdala le prend pour le jardinier, et les pèlerins d'Emmaüs pour un voyageur mal informé. Il échappe à l'espace et au temps qui séparent, il les transforme en moyens de rencontre, en chemins de communion. En lui le divin et l'humain s'unissent définitivement, l'humain trouve ainsi son accomplissement et cette humanité transfigurée, déifiée, pénètre désormais, “ travaille ” désormais les profondeurs de l'histoire, comme on dit d'une femme qu'elle est “ en travail ” – et c'est la Femme à la fois persécutée et “ vêtue de soleil ” dont parle l'Apocalypse dans son douzième chapitre. “Comme le fer, mis en contact avec le feu, prend la couleur de celui-ci, de même la chair [c'est-à-dire la création], après avoir reçu en elle le Verbe déifiant, est libérée de la corruption. Ainsi [le Christ] a revêtu notre chair pour la libérer de la mort” (Cyrille d'Alexandrie, Homélie sur Luc, V, 19). Mais alors, pourquoi la résurrection reste-t-elle comme secrète? Par respect pour notre liberté. Le Ressuscité ne s'impose pas. Il ne se montre pas aux puissants de ce monde, il se révèle seulement à ceux qui l'accueillent dans la foi et l'amour. Ce n'est pas la résurrection qui provoque la foi, c'est la foi qui permet à la résurrection de se manifester. Jésus nous appelle doucement, comme il appela Marie la Magdaléenne : alors seulement, “ elle se retourna”, son cœur se retourna – le reconnut. Et c'est au moment où il rompt le pain, dans une auberge de hasard, que les pèlerins d'Emmaüs le reconnaissent – et qu'il disparaît, désormais présent dans l'eucharistie, dans l'Esprit, dans les “ mystères ” de l'Église. Dans l'Église en effet, son humanité, qui est la nôtre, son humanité à la fois crucifiée et glorifiée devient pour nous la source de la Vie. Et certes, la mort règne toujours, et tout nous rappelle sa présence : la séparation, la tristesse, la disparition de ceux que nous aimons, les tragédies si souvent atroces de l'histoire, la haine de soi, des autres. Mais toutes ces situations, si nous les traversons dans la confiance au Ressuscité, si nous acceptons de nous recevoir de lui, peuvent devenir des chemins de Résurrection. Le Christ est ressuscité, la mort spirituelle est vaincue, la mort n'est plus que le voile déchiré de l'amour. Alors, au fond de nous, l'angoisse devient confiance, nous n'avons plus besoin d'esclaves ni d'ennemis. On croyait qu'il n'y avait pas d'issue, mais il est là, lui, notre ami, notre lieu – “ venez à moi vous tous qui êtes chargés et fatigués, et je vous donnerai du repos ” – et sa présence est une ouverture de lumière. “ Hier j'étais enseveli avec toi, ô Christ, disent les matines pascales. Aujourd'hui je me réveille avec toi, ô Ressuscité. ” Oui, nous nous réveillons comme des enfants, comme des convalescents, dans la lumière de Pâques – et c'est le premier matin du monde, un amandier fleurit parmi les ruines, Dieu nous re-donne la vie, nous par-donne. “Personne ne t'a condamnée ? demande Jésus à la femme adultère. Moi non plus je ne te condamne pas. Va, et ne pèche plus. ” Olivier Clément, Christ est ressuscité, Propos sur les fêtes chrétiennes, Desclée de Brouwer, Paris, 2000, pp. 47-49.