Celui qui marche sous la conduite de l'Esprit ne demeure pas constamment dans le même état et ne progresse pas toujours avec la même aisance. Le cheminement de l'homme ne lui appartient pas, mais dépend de l'initiative de l'Esprit, son maître, qui lui donne à son gré d'oublier ce qui est en arrière et d'aller de l'avant, tantôt avec lenteur, tantôt avec élan. Je pense que, si vous y prêtez attention, votre expérience intérieure confirmera ce que je viens d'exprimer. Si tu te sens atteint de torpeur, de chagrin ou de dégoût, ne perds pas confiance pour autant et n'abandonne pas ton projet de vie spirituelle. Cherche plutôt la main de celui qui est ton secours. Implore-le de t'entraîner à sa suite jusqu'à ce que, attiré par la grâce, tu retrouves la rapidité et l'allégresse de ta course. Alors tu pourras dire : “j'ai couru dans la voie de tes commandements : tu as dilaté mon cœur” (Ps 118,32). Tant que la grâce est là, réjouis-toi ; mais ce don de Dieu, ne va pas croire que tu le possèdes par droit héréditaire, comme si tu étais assuré de ne jamais devoir le perdre. Sinon, pour peu que Dieu éloigne sa main et retire son don, tu perdras courage et tu tomberas dans une tristesse exagérée. Lorsque tu es comblé, ne dis pas : rien ne m'ébranlera, afin de n'avoir pas à dire en gémissant la suite du psaume : “Tu as détourné de moi ton visage, et je me suis effondré” (Ps 29,7-8). Tu auras plutôt soin, si tu es sage, de suivre le conseil de la Sagesse. Au jour du malheur, tu n'oublieras pas le bonheur, et dans le réconfort tu n'oublieras pas les moments d'infortune (cf. Si 11,27). Bernard de Clairvaux (1090-1153)