L’escalier du pardon, j’en suis où ?

Vouloir pardonner les offenses est nécessaire, mais pas suffisant pour y arriver en vérité ! Quand l’offense nous blesse fortement, accorder le pardon demande un travail de vérité intérieure. Et l’accueil d’une grâce qui ne vient que de Dieu, pour une véritable libération.

Le prêtre et psychologue canadien Jean Monbourquette propose une description précise des étapes. Voici un bref descriptif des 12 marches de l’escalier du pardon. Un exercice spirituel consiste à considérer une relation blessée qui occupe nos pensées et à nous efforcer de nous situer : Sur quelle marche est-ce que je suis? Suis-je prêt.e à aborder la suivante?

Première marche – Choisir le pardon

La démarche de pardon s’amorce lorsqu’on prend la ferme décision de ne pas se venger. Bien sûr, le pardon est impossible tant que l’offense est encore en cours, que les gestes offensants se poursuivent. Faire cesser l’offense est un préalable.
Choisir le pardon n’est pas un acte naïf, ni de lâcheté mais au contraire un acte lucide et de courage. Un acte permettra d’être un jour libéré.e des chaines du ressentiment.

Deuxième marche – Reconnaître sa blessure.

Pour un vrai pardon libérateur, il ne faut pas sauter cette étape, on doit accepter qu’on est blessé. On ne peut pas prématurément essayer d’oublier, ou excuser l’offenseur, mettre “sa souffrance dans sa poche et son mouchoir par dessus”. Il faut regarder avec courage à la fois l’offense et la blessure qui en résulte.

Troisième marche – Dire sa blessure à quelqu’un

Dans certains cas, on peut dire sa blessure directement à l’offenseur si on sait qu’il sera prêt à reconnaître sa responsabilité. Mais dans de nombreux cas, on peut plutôt chercher une autre oreille sympathique… capable d’écouter notre récit. De nombreux effets bienfaisants découlent d’une conversation avec quelqu’un qui sait écouter… Un grand soulagement, l’émergence d’idées pour des solutions nouvelles… Un regain d’énergie…

Quatrième marche – Identifier la partie blessée en soi pour en faire le deuil

Sous le choc d’une offense, il arrive qu’on ait l’illusion que toute notre personne a été touchée. Or, il faut délimiter avec précision ce qui a été affecté, sans s’installer dans l’état de victime. Quelle partie de moi au juste a été blessée ? Ai-je été atteint dans ma dignité ? Dans mes biens matériels ? Dans ma fierté ? Dans l’amour des miens ? Souvent, on retrouve là une vieille blessure de l’enfance pas encore guérie.
Il faut éventuellement entamer un processus de deuil de ce qui a été détruit. Et pour cela il convient de bien cerner la nature et l’ampleur de la blessure.

Cinquième marche – Accepter et exprimer sa colère sans violence

C’est un enjeu majeur de gérer sa colère. Il faut commencer par accepter de la ressentir, contrairement à ce qu’on entend parfois. La colère n’est pas en soi une émotion négative, au contraire elle nous sert à nous protéger. Elle doit nous servir à protester et à nous défendre, elle est le carburant de la justice. Il nous faut l’exprimer sans violence excessive, en la déployant dans sa fonction constructive.
Ensuite, elle s’estompe d’elle-même. Souvent au profit de la tristesse… On ne doit surtout pas rester dans la colère, car on rumine, on est travaillé par du ressentiment, de la frustration ou des crises de violence… Il arrive aussi qu’on la retourne contre soi et qu’on se trouve empêtré dans un violent sentiment de culpabilité.

Sixième marche – Recréer l’harmonie en soi, se pardonner à soi-même

Il s’agit de cesser de s’accuser et de se faire des reproches de ce qui est arrivé. Jean Monbourquette décrit un étonnant phénomène psychologique où la victime se fait mal à elle-même. “J’aurai du prévoir !” “Comment me suis-je mis.e dans cette situation ?”
Il faut se regarder sous le regard de ce Dieu miséricordieux qui nous aime. Et lui demander d’être délié, libéré de ces ruminations… Il faut désamorcer la violence contre soi-même.

Septième marche – Comprendre son offenseur

Si cette étape ne doit pas être entreprise prématurément, elle est cependant importante. Il ne s’agit pas d’excuser ou d’approuver l’acte, il s’agit de commencer à séparer l’acte offensant de la personne, de se donner l’espace pour entrevoir une personne faible qui peut-être sera capable de se repentir un jour.
On se pose des questions pour comprendre ce qui se passe chez l’offenseur… Quelles sont les circonstances pour lui ? Est ce qu’il y a un contexte antérieur ou des blessures chez lui qui peuvent expliquer un tel geste ?

Huitième marche – Trouver un sens à sa vie à la suite de l’offense

Il s’agit là de prendre du recul. De situer l’offense dans l’histoire globale de notre vie. On peut se poser des questions plus larges et plus globales pour redonner du sens : Qu’est ce que j’ai appris ? Quelles nouvelles ressources ai-je puisé en moi ? Quelles limites ai-je découvertes et comment ai-je pu les gérer ? À quoi cette épreuve m’a-t-elle initié ? Quelles nouvelles raisons de vivre me suis-je donné ? De quelle façon vais-je maintenant poursuivre le cours de ma vie ?
Il n’est pas rare que de l’épreuve traversée sortent de nouvelles raisons et de nouvelles façons de vivre.

Neuvième marche – Se savoir soi-même digne de pardon et déjà gracié
Il faut expérimenter le pardon d’autrui pour être capable de pardonner à son tour. La personne incapable de se laisser aimer, ou de se rendre compte qu’elle l’est, ne peut donner de l’amour. Mais ne se sent pas aimé jusqu’au pardon qui veut! C’est une grâce qui s’apparente à celle de la conversion. Ignace de Loyola dans le début des Exercices Spirituels a prévu un parcours pour expérimenter le cri de joie de l’amour reçu, du pardon reçu. Une courte retraite spirituelle peut permettre de vivre cette expérience.

Dixième marche – Accepter que je ne peux décider de pardonner
Le pardon est la “perfection de l’amour” et il dépasse largement les forces humaines. Il n’y a que Dieu qui pourra me libérer, que Dieu qui pourra me permettre de laisser l’offense derrière moi. Il faut donc commencer par renoncer à vouloir être l’unique auteur de mon pardon, renoncer au pouvoir personnel qu’il pourrait m’apporter. Pour me détacher de l’orgueil subtil et de l’instinct de domination. Tout seul je suis incapable de pardon. Le pardon que je serai peut-être capable de donner ne sera pas le mien. À cette étape, il faut renoncer à déclarer que l’on pardonne. Renoncer à avoir l’air de pardonner. Renoncer au beau rôle !

Onzième marche – S’ouvrir à la grâce de pardonner
Mon pardon éventuel sera collaboration à l’œuvre divine. Et si je souhaite en devenir capable, il faut commencer par le demander dans la prière. Le pardon est avant tout le fruit d’une libération du cœur. Celle-ci (même si elle peut être immédiate et spontanée dans certains cas) naît , mûrit, et évolue au cours d’une période de temps plus ou moins longue.

Douzième marche – Décider de mettre fin à la relation ou la renouveler
La suite normale du pardon est la réconciliation. La réconciliation est souhaitable mais elle n’est pas toujours possible aujourd’hui : elle devra peut-être attendre la fin des temps et le retour du Christ ! Pour une réconciliation, l’offenseur doit reconnaître sa part de responsabilité dans la faute.

Pour aller plus loin, nous vous recommandons le livre du père Jean Monbourquette, “Comment pardonner”, aux éditions Bayard.