Face à la mort de nos proches ou la nôtre, le père Marcel Domergue sj nous incite à faire confiance à l’amour du créateur car, à Dieu, tout est possible.
Très souvent, la fête du 1er novembre, celle de tous les saints, prend un air un peu lugubre par contagion avec la fête du souvenir des défunts. Visites au cimetière, fleurs d’automne etc. Je voudrais faire le contraire et projeter sur le souvenir de nos morts la lumière de la «Toussaint », fête de la victoire de Dieu sur les forces du mal, de la réussite finale de l’humanité ; et aussi fête de la solidarité.
En effet, si nous prions pour nos morts, ce n’est pas pour que Dieu leur accorde quelque chose qu’ils n’obtiendraient pas sans notre intervention : l’amour de Dieu pour eux dépasse infiniment le nôtre. Ce que nous cherchons, c’est à prendre conscience de notre unité avec eux. Toutes leurs défaillances passées sont nôtres, toutes les «vertus» de ceux que nous déclarons saints nous appartiennent. En Dieu, l’humanité est une, comme Dieu lui-même est Un.
En fin de compte notre prière pour nos morts doit nous changer, nous, pour que nous fassions nôtre l’amour de Dieu pour eux.
Cet amour est purificateur : il brûle ce qui, en eux et en nous, n’est que paille ou déchet pour faire resplendir le bon, même infime, que nous avons laissé Dieu produire en nous. Comme dit Paul (Éphésiens 5,13-14) : « Tout ce qui est dénoncé (jugé) reçoit le grand jour de la lumière et tout ce qui reçoit la lumière devient lumière. Voilà pourquoi l’on dit : Éveille-toi, ô toi qui dors, lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera. »
Dans la Bible, le thème de la « vie éternelle » véhicule des perspectives à première vue contradictoires. Par exemple, nous sommes habitués à penser et à dire, avec l’appui de nombreux textes, que la résurrection est universelle, que les uns ressusciteront pour le bonheur, d’autres pour le châtiment. Et pourtant nous lisons ailleurs que tous les hommes sont sauvés, et nous voyons le Christ prier pour ceux qui le crucifient. De plus, certains passages présentent la résurrection comme le destin de quelques-uns, pas de tous. Par exemple, en Luc 20,35, Jésus parle de « ceux qui auront été dignes d’avoir part à ce monde-là et à la résurrection d’entre les morts ». En Philippiens 3,11, Paul dit qu’il communie aux souffrances du Christ « pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts ». Pour être pris dans la résurrection du Christ, il faut, semble-t-il, passer par une mort qui soit semblable à la sienne, c’est-à-dire faire d’une mort nécessaire une mort qui soit un don librement accompli. Pour ma part, je pense que l’Écriture nous dit souvent comment les choses devraient se passer si la justice s’exerçait normalement.
Mais voilà, Dieu est bien au-delà de ce que nous appelons « justice ».
Un texte clé : Matthieu 19,24-26 (Marc 10,23-27). Au verset 24 nous lisons : « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » Alors les disciples demandent : « Qui donc peut être sauvé ? » Jésus répond : « Du côté des hommes c’est impossible, mais à Dieu tout est possible. »
Certains textes nous disent donc ce qui devrait arriver si les choses se passaient normalement. Ailleurs nous trouvons l’annonce de ce qui arrivera en raison de cet Amour inconcevable par lequel le Christ, Dieu, nous donne la vie en donnant sa vie. Nous pouvons maintenant nous réjouir de la vie nouvelle donnée à nos morts. Tous n’ont pas été des « saints » mais tous se trouvent « sanctifiés ». De cette vie nous ne pouvons avoir que des images symboliques.
La Bible nous les fournit : on nous parle en particulier d’un banquet de noces. Perpétuel, car la faim et la soif y sont sans cesse comblées et sans cesse renaissantes (Jean 6,35 : « Celui qui vient à moi n’aura pas faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif ». Sirac 24,21, dans l’éloge de la Sagesse, figure du Christ à venir, dit au contraire : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif. ») Ce banquet est un banquet de noces. Banquet, il signifie un bonheur partagé, pris en commun. Ainsi sont annoncées la perfection de la relation avec la nature (nourriture) et la perfection de la relation des hommes entre eux. Banquet de noces, il parle également de l’accomplissement de l’union de l’homme et de la femme qui se cherchait dans la sexualité. Ainsi ce que nous appelons « ciel » n’est pas le contraire de ce que nous vivons sur la terre mais son accès à sa vérité et à sa pleine justice. Dépassons nos tristesses et faisons confiance, pour nos morts et pour nous, à l’amour qui nous fait exister. Pour toujours.
P. Marcel Domergue, jésuite (1922-2015),