Sr. Laurence Loubières, xmcj, directrice du Service pour le discernement en commun
Dans son autobiographie intitulée Récit du pèlerin, saint Ignace de Loyola raconte les circonstances de sa conversion en 1521, alors qu’il passait des semaines alité au château familial pour se remettre d’une blessure militaire. Il raconte comment, après avoir lu des livres religieux et passé du temps en prière et en réflexion, il a été touché au cœur par l’amour de Dieu et comment il s’est mis alors à partager cette joie avec ceux de sa maison, qui s’étonnaient de constater « un changement dans son âme ». En constatant que cela faisait aussi « un grand bien à leur âme », il a compris qu’entrer en conversation était un bon moyen d’inviter les autres à découvrir aussi Dieu dans leur vie et à s’ouvrir au désir de l’aimer et de le servir.
Comme en témoigne la suite du récit, cet ardent désir « d’aider les âmes » à se rapprocher de Dieu par la conversation n’a cessé de s’approfondir. Ignace a ainsi continué toute sa vie à entrer en conversation pour aider d’autres à se rapprocher de Dieu : au cours de repas partagés, par de nombreux échanges de lettres, ou encore dans le cadre de ce que l’on appelle maintenant un accompagnement spirituel, c’est-à-dire des rencontres régulières où une personne confie à une autre les étapes de son chemin spirituel. C’est notamment grâce à de longues conversations avec Ignace, que François Xavier et Pierre Favre, ses compagnons d’études à Paris, ont choisi de partager son engagement au service du Christ.
Élu premier supérieur de la Compagnie, Ignace a fait de la conversation un outil apostolique privilégié pour les jésuites, qui devaient se dépenser sans relâche pour aider les âmes à se tourner vers Dieu par la prédication, le catéchisme, les confessions, les Exercices spirituels, l’accompagnement spirituel, etc. Ignace insistait beaucoup pour que la conversation soit aussi au cœur de la vie de la Compagnie de Jésus. Il exigeait que les jésuites, dispersés dans des missions éloignées les unes des autres, entretiennent une correspondance nourrie entre eux, même si les lettres mettaient parfois plusieurs années à arriver ! Il était important que tous sachent ce que les uns et les autres vivaient dans leur mission, car cela viendrait renforcer leur propre zèle – et permettrait d’aider encore davantage de personnes !
Les Exercices spirituels peuvent notamment être compris comme une série de conversations structurées entre le retraitant et le Seigneur dans la prière, et entre le retraitant et la personne qui le guide d’étape en étape dans les rencontres d’accompagnement. Par ces paroles échangées à propos de ce qui touche son cœur dans la prière et dans les événements, le retraitant s’ouvre peu à peu à l’appel de Dieu et aux moyens d’orienter sa vie pour y répondre.
Au fil des années, le terme de « conversation spirituelle » est venu qualifier cette manière de converser qui oriente les interlocuteurs vers Dieu.
Une forme spécifique de conversation spirituelle s’avère très utile pour aider des groupes à collaborer davantage avec le travail de l’Esprit Saint dans le monde. Par des tours de partages successifs, qui demandent une écoute et une prise de parole attentives aux résonances affectives de ce qui est partagé, elle permet aux membres du groupe de prendre conscience de la manière dont l’Esprit Saint les invite à avancer ensemble. Au fil des conversations, un itinéraire de croissance et de vie se dessine.
Le terme de conversation spirituelle ne doit toutefois pas être compris de manière restrictive ; ainsi une conversation peut être spirituelle, même si son contenu ne se réfère pas directement à Dieu. Qui n’a pas fait l’expérience de conversations profondes avec des amis qui nous mettent dans un élan de vie et de gratitude ? Les conversations de ce type peuvent être des moments où Dieu nous dit quelque chose par la manière dont notre cœur est touché. Les traces de joie, d’espérance et d’amour que ces moments nous laissent, nous indiquent, si l’on y prête attention, que Dieu s’y révélait d’une certaine manière. C’est bien l’effet que produit la conversation en nous, plus que son objet, qui nous permet alors de la qualifier de « spirituelle ».
C’est ce qu’avaient compris les disciples d’Emmaüs, qui ont reconnu le Christ en se remémorant qu’au cours de leur conversation avec lui sur le chemin, leurs cœurs étaient devenus « tout brûlants »! A la suite des premiers disciples, à la suite d’Ignace, devenons attentifs à ce qui dans nos conversations touche notre cœur et nous oriente vers Dieu. Et comme eux, brûlons du désir d’aider ceux et celles qui nous entourent à s’ouvrir à l’amour dont Dieu veut nous combler. Alors, avec qui avez-vous envie de converser aujourd’hui ?
Cet article est issu du site jesuites.ca