Que se passe-t-il à la mort quand on a n'a pas vécu comme un saint ?

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Que se passe-t-il à la mort quand on a n'a pas vécu comme un saint ?

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J’ai eu le privilège d’accompagner quelques personnes au crépuscule de leur vie. Je me souviens, jeune jésuite, j’étais envoyé pour un stage comme aide-soignant dans le service gériatrique d’un centre hospitalier dans l’est de la France. Le directeur m’avait accueilli d’un cynique « bienvenue dans notre mouroir ». Les personnes âgées y venaient mourir, souvent pauvres et seules. Une dame dans un demi coma, elle, n’arrivait pas à mourir. Elle souffrait de plaies profondes, la douleur se voyait, l’agonie était terrible et les soignants souffraient de la voir souffrir. L’assistante sociale avait demandé d’attendre, de ne pas précipiter la mort par une sédation profonde ou même une euthanasie, car elle avait retrouvé la trace de son ex-mari. Celui-ci devait venir la saluer, après 25 ans de séparation. Il arriva effrayé, il ne savait rien dire, je l’invitai à prendre la main de cette femme dont on entendait l’agonie et lui suggérai de dire quelques paroles pour qu’elle entende le son de sa voix. Nous vîmes alors le corps de cette dame se détendre, le visage s’apaiser, presqu’un sourire venir. Cet homme, en pleurs, partit vite. Il me dit cependant qu’il était heureux d’avoir pu faire cet aurevoir. Peu de temps après, les soignants, qui savaient que j’étais religieux, me dirent d’aller auprès de Simone, de la veiller, car elles n’avaient pas le temps de le faire. J’allais les représenter. En tenant la main de Simone, en écoutant ses derniers souffles, je me sentais très étranger à ce qui se passait mais je sentais que la visite de son ex-mari, cette possible réconciliation entre deux personnes qui s’étaient aimées et qui avaient rompu, avait permis à cette femme de passer une étape dans les moments les plus ultimes de sa vie, les plus déterminants sans doute. Son passé était là, elle ne pouvait certes pas changer ce passé, mais elle en avait peut-être changé sa signification dans la réconciliation, et alors s’est ouvert un avenir pour elle. Je peux affirmer que sa mort fut paisible.
Elisabeth Kubler Ross a défini cinq moments de l’acte de mourir chez les malades en phase terminale : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation. Accepter sa mort est sans doute l’étape la plus décisive car elle participe de cet abandon dont je parlais tout à l’heure, de ce lâcher prise qui n’est pas une isolation du reste du monde, mais qui est une remise de soi dans la confiance, à celui qui n’a pas fait la mort, mais qui « par sa mort, a vaincu la mort », selon le tropaire pascal de la liturgie byzantine. Il me semble alors qu’on peut dire que la mort représente le plus bel acte de liberté que l’on puisse avoir de toute sa vie. On ne meurt pas comme on a vécu, on meurt parce que ce qu’on a vécu ouvre à une nouvelle relation. Et notre vie, comme préparation à la mort, va permettre cette liberté de dire oui à la vie nouvelle qu’est la résurrection. Nous naissons pour mourir ? C’est ce que fait dire Malraux à un de ses héros : « il faut neuf mois pour faire un homme et un seul jour pour le tuer » Et Benjamin Franklin avant lui : à la mort, nous achevons de naître ». Nous mourons pour vivre. Devant la mort, nous sommes tous égaux et la mort est le moment du choix ultime pour la vie. Dans les expériences de la vie jour après jour, mort après mort, devenons ce que nous sommes appelés à être : des vivants.

Musiques

Scarborough Fair de Traditional interprété par Healing Muses
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