N’aies pas peur, sois sans crainte ! ne crains pas ! Elles sont nombreuses ces injonctions dans l’évangile : elles préparent toujours à l’action de Dieu dans la vie d’un homme ou d’une femme. Mais quand Dieu parle à l’impératif, c’est qu’il suscite la liberté, l’engagement personnel de celui ou de celle à qui il s’adresse. Oui mais la peur, est-ce simplement par un effet de la volonté que l’on peut s’en débarrasser ?
Je me souviens d’un jeune scout à qui l’on proposait de faire une descente de falaise en rappel, avec toutes les garanties de sécurité, assisté par des responsables. Il eut droit à tous les encouragements possibles, pendant longtemps mais rien n’y fit : il aurait bien voulu, mais il n’arrivait pas à s’élancer dans le vide, son vertige ne pouvait pas se commander. Échec ? Ce qui se passa fut d’un autre ordre. Cette panique fut l’occasion de réfléchir quelque temps après sur les violences qu’il avait connues dans le passé et qui l’avaient conduit à sa phobie. Et ce fut un mal pour un bien. L’écoute de son chef, un homme doux, lui permit de chasser quelques images de l’autorité en lui qui l’empêchait de vivre libre et d’oser.
Pendant cette retraite d’Avent, nous entendons cette petite voix dans la prière qui vient non de nous mais de Dieu, destinée à nous désarmer, à nous faire entrer dans la confiance, et cela en accueillant la douceur qui caractérise la fête de Noël. Zacharie, Marie, Joseph, ils ont tous pu accueillir cette douceur et la liberté qui permet d’accueillir la nouveauté de Dieu. Tant bien que mal pour le pauvre Zacharie, puisque le silence lui a été imposé pour que la violence de l’incrédulité cède devant la joie d’une naissance inespérée. Et même Joseph que l’évangile appelle le juste, a été invité à la paix intérieure lorsqu’une nouvelle mission lui a été donnée à l’annonce de la conception virginale de Jésus.
Le quatrième dimanche de l’Avent nous fait entendre à nouveau le récit de l’Annonce faite à Joseph selon Matthieu. Dans ce récit, tout va très vite, tout est ordonné à l’action et cette action est rendue possible lorsque le mécanisme paralysant de la peur (justifiée ou non, la crainte du Seigneur est la première sagesse dit l’Ancien Testament), lorsque ce mécanisme est brisé : Joseph, pièce essentielle dans le scénario divin de l’incarnation, est invité par l’ange, à ne pas craindre de prendre Marie comme épouse. La foi est ainsi sollicitée, mais pour permettre à la foi de Joseph de s’exercer, l’ange lui offre de quoi se rassurer avec deux raisons. Il dit que l’Esprit-Saint de Dieu est présent dans la vie de Joseph par Marie. Et tout cela, ajoute le narrateur, répond aux prophéties d’Isaïe. On peut alors voir Joseph se réveiller et agir tout de suite ! Aucune raison d’avoir peur.
Au fond, c’est un modèle de dialogue intérieur même si on n’entend pas la voix de Joseph. Un dialogue, mais qui ne se paie de mot. Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse.
Le dynamisme que nous sentions dans la première semaine de l’Avent à travers tous les dons de Dieu qui profilent l’alliance entre Dieu et l’humanité, le voici encore présent : Dieu a besoin de toi au moment où il vient à toi. Peut-être vous souvenez-vous du récit du don gratuit expérimenté par le poète Rilke, don qui l’avait bouleversé, quand nous avons commencé cette retraite. Voici ce qu’il écrit encore : « Ne croyez-vous pas que Dieu est celui qui viendra, qui de toute éternité doit venir, qu'il est le futur, le fruit accompli d'un arbre dont nous sommes les feuilles ? Ne croyez- vous pas que tout ce qui arrive est un commencement ? Ne serait-ce pas son commencement à lui ? » Il nous faut donc faire attention à cette venue à travers la douceur dont nous sommes capables vis-à-vis de nous et des autres, en ce temps d’ultime préparation à la venue du Seigneur. Vais-je permettre à Dieu de vivre en moi son commencement ? Ou, autrement dit, de quel arbre suis-je donc la feuille, et Dieu le fruit ? Comme disait Saint Augustin qui faisait parler Dieu : « Moi qui t’ai créé sans toi, je ne te sauverai pas sans toi ». Et Joseph est le symbole de cette collaboration de l’homme à la naissance de Jésus.
L’annonce à Joseph, vous le savez, complète l’Annonciation que l’on entend chez St Luc. Chez Luc, la douceur et la pleine joie sont spécialement au rendez-vous, dans un échange entre le ciel et la terre. Marie, nous dit saint Luc, fut bouleversée, puis elle pose une question, puis elle accueille, puis elle répond par une action de grâce et puis par un acte de liberté : « qu’il me soit fait selon ta parole ».
Le « réjouis toi de l’ange », son « ne crains pas », a entraîné un acte de foi en Marie telle que la tradition théologique a pu dire que Marie a dit oui à l’ange « au nom de toute l’humanité ». Ce qui est peut-être une définition de la liberté la plus belle qui soit : non pas se trouver autonome et délié de toutes contraintes. La liberté serait de se reconnaître en communion avec toute la création et agir en fonction de cette relation universelle. Dire oui à la vocation de Dieu au nom de l’humanité. C’est peut-être le sens de la quatrième semaine de l’Avent : faire grandir en nous une connexion avec toute l’humanité, avec l’univers entier, appelé dans quelques jours à chanter le gloria des anges, eux qui promettent la paix aux hommes de bonne volonté ! Il est temps de sentir cette confiance qui a été instillée en nous pendant ces semaines d’Avent. Aucune raison de connaître la peur, au fond, laissons-nous apprivoiser par la douceur d’un enfant. Ne lui faisons pas peur. On l’appelle le Prince de Paix. Abandon. Contemplation.