Déjà trois semaines les amis que nous avançons sur le chemin d’Avent. Nous avons pu nous rendre compte que nous n’avons pas à avoir peur car Dieu nous a déjà donné de marcher sur la route de la vie, nous avons pu voir aussi qu’il nous libère de tout ce qui nous empêche d’avancer. Quand il propose de prier en contemplant la nativité, dans les Exercices spirituels, St Ignace de Loyola invite le retraitant à regarder les lieux où se passe la scène de l’évangile : spécialement, il regarde le chemin chemin qui conduit Joseph et Marie vers Bethléem. Il se demande si ce chemin est large ou étroit, en pente, en ligne droite ou avec des virages… pourquoi cet appel à notre imagination ? C’est une manière de dire que l’incarnation, c’est Dieu qui marche sur nos chemins ! Les deux premières semaines de l’Avent nous ont fait avancer dans la préparation de Noël et sans doute a-t-il fallu se retirer du brouhaha du monde, des lumières par une route où nous ne sommes pas seuls, puisque Dieu nous a déjà tant donné, nous le connaissons ce chemin, il a été préparé par les prophètes et les appels à la sainteté. Une qualité de vie de chrétiens qui n’est pas le seul fait de notre effort et de nos volontés, mais de notre prise de conscience que notre cœur s’élargit par le don de Dieu, qui nous donne de marcher en liberté.
Vous le savez, très vite dans l’histoire de l’Eglise, les chrétiens ont senti que le temps de l’Avent n’était pas une marche forcée, pénible, vers Noël. Même pour le carême, la joie pascale oriente la pénitence de ce temps sans s’y confondre le blanc de Pâques, mais le violet de Carême le prépare. Alors il existe le dimanche de Gaudete, le troisième dimanche d’Avent. « Réjouissez-vous, le Seigneur arrive », écho de la parole du prophète Isaïe.
La liberté du chrétien est en effet fondamentalement un état de vie marqué par la joie, elle n’est pas un poids qui nous situe seuls au milieu d’un territoire ennemi. La liberté est le fruit d’une conversion qui nous rappelle que l’humanité est faite pour la joie. Alors, comment se fait-il que la vraie joie soit si difficile à appréhender dans notre monde, dans notre vie ? J’interrogeais un jour la prieure d’une communauté de clarisses, cet ordre religieux fondé par Claire d’Assise qui avait osé défier sa famille pour être tout entière au Christ dans la joie de dame Pauvreté que lui avait fait découvrir frère François. J’avais demandé à cette clarisse ce qu’était pour elle la joie. Elle m’avait répondu simplement qu’elle ne pouvait pas donner de définition de la joie car alors ce ne serait plus une vraie joie. J’ai compris que pour elle, la joie c’est quelque chose qui nous arrive, qu’on ressent, mais qu’on ne possède pas, qu’on n’enferme pas dans une définition, non, c’est quelque chose qu’on accueille mais qu’on ne fabrique pas. Il y a certainement là une vérité à creuser. N’ai-je jamais confondu joie gratuite et plaisir de domination, pas forcément sur les autres mais domination par rapport à tout ce qui m’entoure ? Il y a une grande différence entre la joie et le plaisir. Le plaisir, il me semble, a un caractère éphémère, il est cantonné dans le présent, dans l’instantané, dont le goût peut facilement disparaître pour autant qu’il y a un contretemps ou une épreuve. La joie, écrit le philosophe du pardon Vladimir Jankélévitch, c’est ce qui ouvre un avenir là où il n’y en avait pas. La joie ouvre à l’avenir, comme le temps que nous expérimentons pendant l’Avent invite à la joie propre du peuple Juif qui attend le Messie. Joie liée à l’inouï dans la manière dont Dieu réalise la promesse de sauver son peuple : pas par une armée comme au temps du roi David ou des frères Macchabées, non, joie de savoir que celui dont le nom est « Dieu sauve, « Iesus », celui que l’ange appelle « Dieu avec nous », Emmanuel, marche vers nous, et il sauve en étant dans le besoin, et il est avec nous comme le plus faible. Voilà qui nous ouvre à l’attente de ces derniers jours avant Noël, attente non pas anxieuse, mais une espérance joyeuse.
C’est pourquoi cette semaine de retraite il sera assez utile de prêter une attention renouvelée à une étape de la prière quotidienne, à savoir la porte d’entrée de la contemplation. Au moment de prier, installé comme il convient pour vivre le temps de l’oraison, je fait un geste qui me rappelle que je suis avec Celui qui désiré faire alliance avec moi, mais qui est mon créateur, qui est la source de ma vie, qui est mon sauveur. Pendant cette semaine prenons le temps de nous rendre compte que nous sommes en dépendance de cet amour de Dieu qui a pris l’initiative de nous aimer. Et cette prise de conscience me conduit à oser demander ce dont je manque, ce dont j’ai besoin pour vivre cette semaine. Cela peut-être de demander à reconnaître la joie que Dieu nous offre en cet enfant donné à son peuple, Jésus dont la mère marche sur un chemin long, court, étroit, large, droit ou en courbe… Qu’espères-tu alors Marie, qu’attends-tu de Joseph, à quelle adresse vas-tu loger ?