Bonjour, je suis François Euvé, jésuite et aujourd'hui je viens vous parler dans le cadre du parcours Éclats de résurrection de la chair dans le symbole de foi.
Dans le Credo, nous confessons la résurrection de la chair. Avouons que ce n'est pas facile à comprendre. Résurrection ? Peut-être. Oui, au sens large ou symbolique du mot. Mais pourquoi la chair est-elle associée ? Pourquoi la chair doit-elle ressusciter ? Ne serait-il pas plus simple de s'en tenir à la doctrine assez traditionnelle et peut être plus facile à comprendre de l'immortalité de l'âme ? Cette doctrine dit que dans toute personne humaine, il y a un principe l’âme, qui peut être difficile à définir, mais en tout cas typique, fondamental, fondateur de l'humanité. Un principe qui ne peut pas mourir, un principe qui n'est pas affecté par la mort.
Ce que nous constatons assez banal, c'est que, après la mort du corps, nous voyons le corps, la matière, la chair se décomposer. Il reste dans certains cas, au mieux, le squelette et tout le reste a disparu, s'est fondu dans la nature. Alors, est ce que cela veut dire que la personne a totalement disparu ou est-ce que ça veut dire qu'il y a effectivement un principe qui reste, Qui serait l'homme ?
Si l'on parle de résurrection ? On parle bien sûr de mort. Rappelons-nous simplement cette phrase très importante de l'Évangile de Jean « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruits. » On n’accède pas à la vie sans passer par la mort. La résurrection n'est pas une vie indéfiniment prolongée.
La résurrection ne dispense pas de faire expérience de la mort ; un peu comme dans le courant du transhumanisme, qui pense trouver une vie indéfinie, qui se prolonger indéfiniment, sans fin. Or, le Christ lui-même a fait l'expérience de la mort et la phrase de l'Évangile de Jean dit bien que justement, il n'y a pas d'accès à la vie sans passage par la mort, et donc la mort, effectivement, est une expérience humaine inévitable, fondamentale.
Or, le christianisme ose parler de résurrection de la chair. L'exemple évangélique bien connu, c'est la résurrection de Jésus. On l'a vu mourir sur la croix, mais au tombeau. Et puis le troisième jour, il n'est plus dans le tombeau et en revanche, les disciples le rencontrent, le reconnaissent et même il va jusqu'à partager un poisson dans l'évangile de Luc, entouré ce manifestant très concrètement à eux, mais sous une forme quand même un peu particulière, puisque c'est un corps dans lequel on peut voir les blessures. Il invite Thomas à mettre la main dans ses blessures. Un corps où l’on peut voir ses blessures, un corps qui traverse les murs, qui disparaît devant les pèlerins d'Emmaüs. En effet, après la fraction du pain, il disparaît devant leurs yeux. Et puis, il y a là la scène de l'Ascension où, là aussi il monte au ciel, mais est-ce que c'est une ascension physique comme un ballon ou, comme dit la finale du même évangile, il disparaît simplement.
C'est l'insistance sur la dimension concrète et en même temps une matière un peu particulière. Il n'y a pas de description commode de ce qu'est une chair ressuscitée, un corps ressuscité. Saint Paul prend l'image de la graine qui se transforme en plante. On voit une graine et puis on la met dans la terre. Alors, évidemment, dans les connaissances de l'époque, on n’a pas trop idée du processus biologique, mais on voit une graine, on la met en terre. Et puis quelque temps après, on voit une plante, quelque chose qui ne ressemble pas à la graine. Donc il prend cette image pour dire qu'il y a quelque chose de l'ordre d'une nouveauté que le corps, le corps ressuscité.
On pourrait parler de corps spirituel si on veut. Le corps ressuscité n'est pas du même type physico chimique que le corps biologique, que l'on connaît en tant que l’expérience habituelle.
Ce que dit donc la résurrection, c'est qu'il y a une transformation radicale. C’est le premier point qu’on peut souligner. Il y a résurrection de la chair, du corps, une dimension concrète, mais au gré d'une transformation profonde.
Le rapprochement que fait saint Paul, lui aussi, entre la résurrection et la création du monde comme quelque chose de radicalement nouveau est pertinente ici. Il y a effectivement, dans la résurrection, l'affirmation de quelque chose d'inédit, de quelque chose de radicalement nouveau. C'est un point important à souligner parce que vous pouvez avoir le sentiment avec la mort, que le cycle de la vie ne serait finalement qu'un éternel recommencement, que l'histoire du monde ne serait qu'un éternel recommencement. Rien de nouveau sous le soleil, comme dit le Qohèleth, de manière un peu désabusée. C'est dans la Bible, certes, mais il ne faut pas prendre ça au premier degré. C'est l'expérience commune, l'éternel retour.
Or, l'Evangile et la Bible dans son ensemble, affirmant la résurrection, nous dit non, il n'y a pas d'éternel retour, il n'y a pas de perpétuel recommencement. Il y a du nouveau, du radicalement nouveau qui peut surgir dans le monde.
Deuxième point, ce radicalement nouveau, ce n'est pas le passage d’une autre réalité, le passage de l'ordre de la matière à l'ordre de l'esprit, au sens désincarné du terme. Mais cette transformation a lieu dans la matière elle-même, ce qui nous invite à prendre très au sérieux la matière. Peut-être parler de résurrection de la chair, c'est dire que ce qui importe dans l'humanité et dans l'univers dans son ensemble, ce n'est pas justement ce principe immatériel qu'on peut appeler l’âme et qui serait propre à l'humain ou peut être propre aux vivants. Mais c'est tout un ensemble, et que même si on peut parler de quelque chose en l'homme qui dépasse, l'homme qu'on appellera l’âme, c'est indissociable du corps que le corps fait partie de la définition même de l'humanité, et que la dimension matérielle fait partie de notre condition humaine. Parce que le dualisme entre l'âme et le corps a pu conduire à des formes, assez curieusement dans l'histoire, soit d'ascèse excessive au sens où, le corps n'ayant plus aucune valeur, on peut le négliger complètement. Soit au contraire dans le sens d'une débauche non moins radicale puisque si le corps n'a aucune importance, après tout, on peut en faire ce qu'on veut.
Or, le christianisme affirme par ce biais-là, la grande valeur du corps, puisque le corps est susceptible de ressusciter et la matière dans son ensemble est aussi susceptible de ressusciter.
Du reste, le corps, c'est aussi ce qui nous rend dépendants, interdépendants avec la matière, l'étoffe du monde, comme dit Merleau-Ponty, la matière du cosmos, non seulement le monde vivant, mais le monde matériel. Par notre corps, nous sommes profondément solidaires de l'ensemble du monde vivant et de l'ensemble du cosmos. C'est pour cela que certains théologiens parlent à propos du Christ, d'une incarnation profonde, pas simplement une incarnation, au sens d’une personne humaine, mais par le biais d'une personne humaine corporelle, une incarnation dans l'ensemble du cosmos.