4. Témoignage d'une traversée d'un cancer, par Guillaume Gorge

"Faire de ma vie une résurrection au quotidien"

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4. Témoignage d'une traversée d'un cancer, par Guillaume Gorge

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Bonjour, je m'appelle Guillaume Georges, j'ai 53 ans et pour éclat de résurrection, je vais vous parler de cancer.

Aujourd'hui, je suis marié, j'ai quatre enfants et ce cancer dont je vais vous parler, je l'ai eu jeune, à 25 ans et je faisais mon service national et cela faisait six mois que j'étais malade mais sans qu'on puisse détecter la cause de cette maladie et je suis arrivé au bout de six mois en France en septembre 1995, Je pesais 50 kilos avec une tumeur de plus de 15 cm de diamètre, et un diagnostic réservé.

Un diagnostic réservé, ça veut dire que les médecins ne peuvent pas assurer que, malgré les traitements, je pourrais vivre. C’est une situation qui n'est pas vraiment une situation de résurrection, qui est plutôt une situation de Pâques, mais je pense que c'est important avant de parler de résurrection, peut-être de parler du fait qu'on doit passer par Pâques pour découvrir cette résurrection. En tout cas, pour moi, ça a été le cas. Et le fait d'être arrivé comme ça dans un état physique très, très faible, ne pouvant plus marcher, j'avais été vaincu par la maladie techniquement. Ça a été une expérience paradoxale parce qu’alors que j'étais pendant une semaine en réanimation et que j'étais en dépendance totale, même pour les activités les plus prosaïques. Ne pouvant pas dormir parce que le cadre de la réanimation, c'est vraiment justement de veiller à ce qu'on se soit réveillé. Notre illusion de toute puissance se tait, l'orgueil se tait, on est juste un pauvre parmi les pauvres. Et ça, cette expérience de Pâques, je l'ai d'abord vécue avant cette expérience de résurrection qui est le fait d'avoir pu guérir.

Alors, il y a eu effectivement une semaine vitale en réanimation, puis ensuite le traitement a duré pendant quasiment six mois, essentiellement de chimiothérapie ; et cette période a été une période où j'étais très fatigué et où la pauvreté n'était plus aussi forte que la pauvreté en service de réanimation où attaché avec des fils à la vie ne pouvant rien faire, étant complètement dépendants, finalement, j'avais une pauvreté intégrale. Mais après je gardais cette pauvreté, je dirais spirituelle, intellectuelle, physique, qui était telle que même la prière était difficile, marcher était difficile…
En particulier pour la prière, j’ai beaucoup prié les psaumes parce que, à travers ces psaumes, il me semblait qu'il y avait cette proximité avec le psalmiste qui crie son espérance et son désespoir, et en prenant les mots de quelqu'un, je pouvais le faire, je pouvais le dire et c'était juste. Alors qu'une prière plus libre ne venait pas forcément naturellement. Cette pauvreté s’est poursuivie au-delà de la semaine vitale en réanimation pendant quasiment tout le traitement.

Ces six mois même si j'ai dit que sur la prière, c'était une prière, peut être comme celle du psalmiste qui n'ignorait pas la mort, ces six mois ont été six mois de vie. Et en particulier, dans la chambre d'hôpital que j'ai beaucoup fréquentée. Beaucoup de gens sont venus me voir, ils venaient le soir, il y avait trois ou quatre personnes, qui ne se connaissaient pas, qui rentraient dans la chambre et qui voyaient d'autres personnes. Et finalement, cette chambre a été un lieu de vie où il y avait des rires, de la joie, parce qu'il y avait de la jeunesse, du dynamisme. Il y avait de l'espoir. Ça n'a pas été la passion pendant six mois. Ça été vraiment dès la chambre d'hôpital une expérience de résurrection. Avec en particulier quelque chose qui m'a beaucoup touché et que j'ai retrouvé dans d'autres lieux ensuite, qui est la capacité de parler en vérité avec des amis. Souvent, on a une conversation un peu mondaine, on parle avec des amis de choses qui sont importantes mais qui ne sont pas le cœur de ce qui nous fait vivre. Et lorsqu'on est dans une chambre d'hôpital, lorsqu'on va voir quelqu'un, ce qui demande un certain courage, surtout pour mes amis qui étaient jeunes, ce n'est pas quelque chose de naturel, mais finalement on s'ouvre avec facilité. On peut discuter en profondeur, sur les choses de Dieu, la vie, la mort. Un peu comme Jésus, lorsqu'il rencontre la Samaritaine. Assez naturellement, ils parlent de choses sérieuses, qui sont des choses de vie. Lorsque Jésus discute avec Marthe par rapport à la mort de Lazare, on sent qu’il se passe quelque chose. Il y a un vrai dialogue, une vraie écoute, mais des choses qui nous touchent au plus profond de notre être. Et donc ça a été la première expérience de résurrection. C'est à travers la vraie rencontre d’amis que je pensais connaître, mais que j'ai redécouvert, une expérience à la suite de Jésus dans sa rencontre en Galilée, des personnes avec qui il a véritablement entamé une discussion sur les choses qui font la vie.
Pour moi, le jour de Pâques, s'il devait y en avoir un, c'est le jour de notre mariage. Pourquoi ? Parce qu'on a pu célébrer cette résurrection, cette guérison non seulement avec Anne-Claire avec qui je me suis marié, mais aussi avec toutes les personnes qui étaient venues à l'hôpital. Et nous étions plus de 350. Du coup, matériellement, on s'était organisé et il n'y avait pas de dîner, mais pour que tout le monde soit là et ça a été un lieu où on a pu faire mémoire de ce qui avait été traversé ensemble, traversé par moi, mais aussi traversé par tous les gens qui étaient venus avec moi me voir dans la chambre d'hôpital. Et ça a été un moment de très, très grande joie.

Peut-être par rapport à la résurrection, il y a de l'ordre du mystère de la guérison après un cancer c'est celui du corps. Parce que ce corps garde les traces des plaies. C'est un corps prématurément vieilli, surtout lorsque on a eu des métastases, des choses comme ça qui font que même s'il est guéri, le corps est quand même abîmé. Et pour nous, il y avait une question très concrète qui était la question de la fécondité qui a été une deuxième résurrection le jour de la naissance de notre premier enfant.
Mais qui était quand même une vraie question de quelle était cette nouvelle vie, moi, concrètement, elle s'est traduite par un texte qu’on a écrit avec Anne Claire pour notre mariage, à travers la déclaration d'intention, d'essayer de mettre des mots qui correspondent à ce qu'on avait envie de vivre et qui mentionnent explicitement le cancer qui le mentionne sur deux aspects.

1. La question de la fécondité : Quelle est la fécondité que nous pouvons avoir à deux, à partir du moment où la question d'avoir des enfants se pose. Comment je peux faire pour que ma vie soit féconde ? Et finalement, c'est une bonne question à se poser parce que nous avons tous à créer de la fécondité au-delà de nos enfants. Et donc ça, c'était le premier pilier, peut-être un peu négatif. Quelle question pour la fécondité ?

Puis la deuxième, c'est se dire, mais finalement, aujourd'hui, qu'est-ce que j'ai envie de vivre. Je me suis marié avec Anne-Claire, donc le « je » est devenu un « nous ». Mais c'est sûr que cette expérience nous a marqué, Anne-Claire et moi, et que dans notre déclaration d'intention, on a explicitement mis un certain nombre de choses pour reconnaître que la vie nous était donnée et en particulier être ouvert aux appels, c'est à dire de dire finalement à travers une vie donnée, il faut accepter. Il faut se mettre dans une démarche de l'accueil, de l'ouverture à quelque chose qui va nous déranger, qui va nous déplacer, qui va nous ouvrir, qui n'est pas forcément ce qu'on veut, qui n'est pas forcément super confortable, mais qui nous fera grandir. Et ça, c'est quelque chose qui vient, je pense, de cette expérience de la maladie.

Lorsque le Seigneur s'approche de nous et il se fait physiquement présent comme aux disciples d'Emmaüs. Il le fait toujours avec une certaine pudeur, et finalement, il faut aussi avoir, je crois, cette pudeur lorsqu'on en parle. Mais pour moi, l'expérience en chambre de réanimation dans la pauvreté de cette chambre. Ce cœur brûlant, c'était celui de Jésus qui était là tout le temps et que mon orgueil, probablement, m'empêchait de l'entendre.
Et le fait de savoir qu'il est là, qu’il a cette présence, ce souci, cette préférence pour la personne pauvre, la personne pauvre physiquement aussi. Et donc dans ma vie, c'est probablement à ce moment-là que j'étais le plus pauvre et c'est là que j’ai senti le plus fortement sa présence.

La dernière chose que je voudrais mentionner, le fait que l'expérience de la Résurrection finalement, je l'ai vécu deux fois. Je l’ai vécu à travers la guérison, mais je l’ai aussi vécu à travers la relecture que j'ai pu en faire. Et finalement, pour moi, aujourd'hui, cette expérience de Pâques, cette expérience de résurrection, le texte le plus proche de ce que je vis aujourd'hui, c'est celui des disciples d'Emmaüs, avec cette image de « mon cœur n'était-il pas brûlant » ? Et est-ce que mon cœur n'était-il pas brûlant dans cette chambre de réanimation lorsque j'étais complètement pauvre et lorsque j'étais branché à tous ces appareils qui me maintenaient à la vie ? Finalement, c’est assez paradoxal, parce que lorsqu'on est sur le moment, l'aspect physique de la machine qui bipe et de la radio à tue-tête peut devenir, et peu occuper tout l'espace.

Et finalement, il nous faut ce temps de relecture pour finalement se dire : oui, oui, à travers cette expérience-là, j'avais le cœur qui était finalement brûlant, même si autour de moi, c'était d'une blancheur telle que peut être un hôpital dans une chambre de réanimation. Mais finalement, c'est l'expérience que nous avons à faire en tant que disciples de Jésus.

Il me semble que le mystère de Pâques, nous le vivrons après notre mort, mais que nous pouvons d'ores et déjà vivre quelque chose de l'expérience de Pâques à travers la relecture de notre vie, de nos expériences, de voir où sont nos morts et où sont nos les résurrection concrètes dans nos vies.
Lorsque je relis cette période, ça a été aussi un moment de grâce, parce que la vie, elle, paraît plus intense. Elle a plus de reliefs. On mesure sa valeur et on se dit, comment je peux faire pour que de cette vie qui m'est vraiment donnée, je puisse rendre grâce, en faire quelque chose de beau.

Pour moi, cette maladie, la période de résurrection, ce n'est pas un oubli, c'est quelque chose où on essaye de vivre par rapport à la promesse qui nous a été donnée. Alors on n'y est pas forcément toujours très fidèle. Mais comment faire de ma vie une résurrection au quotidien et pas uniquement par la guérison de la maladie ? Et ça, c'est vraiment la question qui nous reste, ayant été guérie

Image : Détail de l'oeuvre "Les règnes du feu", aqua. 103H x 153L cm, 2020, Coll. privée, France. Jean-Paul Agosti
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