Le texte qui suit, au style très oral, est une transcription du témoignage de Jonathan Dolidon, sj
Je suis rentré dans la Compagnie de Jésus il y a dix ans. Il y a peut-être une expérience un peu plus forte qui nous est proposée de vivre au noviciat qui va dans le sens du détachement.
C'est de partir un mois marcher sans argent et de faire l'expérience de cette pauvreté matérielle concrète en demandant notre logement le soir, notre nourriture, en frappant à la porte des uns et des autres, sur notre chemin. Je suis parti du couvent de Notre-Dame des Neiges, en Ardèche, jusqu'à l'île de Lérins qui est une île en face de Cannes où se trouve un monastère qui produit du vin.
J'ai dû marcher seul alors que d'habitude, les novices marchent deux par deux. Mon compagnon a dû s'arrêter au bout de deux jours. Donc j'ai marché 30 jours quasiment seul. Je n'avais rien, mais je ne manquais de rien, Dieu pourvoyait à tout. Vraiment, j'ai fait l'expérience de la générosité de l'humanité alors que ça générait quand même quelques craintes au départ et même pendant.
Le plus dur, c'est vraiment de ne pas avoir de confort personnel, de toujours dépendre de ce que la personne va pouvoir nous donner quand on va sonner chez elle. C'est aussi, parfois les renvois, éprouver la faim. Certains soirs, je n'avais pas forcément à manger, ni forcément à loger. Je marchais avec les psaumes, c'est un livre qui m'a accompagné pendant tout le pèlerinage comme quelqu'un à qui j'empruntais les mots pour dire à Dieu, tantôt ma détresse, tantôt ma joie.
Ça m'a vraiment soutenu dans ce pèlerinage et je pense que les moments de refus, j'ai pu les vivre un peu plus paisiblement grâce à ça. Ce qui est incroyable, c'est que Dieu pourvoit à toutes choses en fait et nous fait vivre vraiment des rencontres incroyables.
Une anecdote : c'était un soir, j'arrive sur une petite colline. Il y avait un hameau et une grande maison avec des appartements découpés. Et puis à côté, il y avait une petite maison. Et j'ai frappé au deux. Dans les logements comme dans la petite maison, personne n'a voulu m'accueillir. Donc j'ai dormi par terre, pas très loin. Et puis au réveil, une personne de la maison vient me voir et m'apporte un paquet de gâteaux avec une bouteille de jus d'orange.
Et donc on discute et je suis très touché par ce qu'il m'apporte, etc. Et puis je sens que la personne est touchée par ma démarche. Elle repart dans sa maison, elle revient avec de l'argent et elle propose de m'en donner pour la suite du parcours. Et là je refuse. Je lui dis que c'était pas ce que je voulais vivre pendant ce pèlerinage. Et puis cette personne tombe dans mes bras, se met à pleurer. On n'a pas échangé d'autres mots. Je suis parti et on s'est quittés là. Je ne sais pas ce qui l'a a rejoint, mais certainement que moi je n'y suis pour rien parce que ça m'a été demandé par mon supérieur du noviciat de faire cette expérience de pauvreté.
Donc ce n'est vraiment pas moi qui suis à l'origine de ça. Mais ce que j'espère, c'est que cette personne là, à travers ses larmes, ça l'a ramené à un essentiel qui est autre que de compter sur ses forces matérielles. Ce que je peux dire aussi sur cette expérience à la fois pendant ce temps de marche, mais dans toute la vie religieuse, c'est de découvrir que sans le Christ, je ne suis rien.
Il y a quelque chose qui se réaligne dans la relation à Dieu, à la fois dans la prière et petit à petit dans la relation avec les autres. C'est amusant parce que quand je suis rentré du pèlerinage, un autre compagnon m'a dit : « C'est dingue, il y a une liberté chez toi qui se dégage, qu'on n'avait pas perçu auparavant. »
Une sorte de certitude que j'étais aimé depuis toujours et que je serai aimé toujours. Je pense qu'il y a eu plusieurs étapes depuis dix ans. C'est-à-dire que ça reste un combat au sens où la pauvreté, c'est au quotidien pour nous. Par exemple, dans la chasteté, c'est de ne pas avoir de relation préférentielle avec une femme; ou bien, en tant que jésuite, c'est la pauvreté de ne pas choisir, mais de recevoir notre travail de nos supérieurs.
Je peux dire que ce je vis depuis dix ans grâce à ces vœux-là, c'est une forme d'élargissement de mes horizons. Il y a quelque chose qui me permet de rencontrer des gens que je n'aurais jamais imaginé rencontrer si je n'avais pas fait ce choix de vie. De même qu'en faisant vœu d'obéissance, en ne choisissant pas mon travail, d'autres, me regardant, en voyant les qualités que j'ai et mes limites me disent : « bah tiens, va dans tel endroit et œuvre et tu porteras certainement du fruit. »
Il y a une confiance de fond qui est faite et je peux dire que, jusqu'à aujourd'hui, c'est vrai. Alors ça c'est un peu les grands thèmes ; après, il y a la vie quotidienne. La pauvreté en communauté, c'est par exemple de ne pas choisir à table ce qu'on va manger. On pourrait avoir envie de se faire une salade alors que c'est un gros plat qui est proposé. Ça ramène à un essentiel qui est de se dire l'essentiel n'est pas ce que je mange, mais la fraternité qu'on vit autour de la table.
Nous, on fait un vœu de pauvreté. Moi comme religieux, aujourd'hui, je n'ai plus rien en nom propre. On pourrait dire que même mes habits, même si je ne les partage pas tous les jours avec mes compagnons de la communauté, ils sont communautaires. Ils sont achetés avec l'argent de la communauté. Le salaire que je touchais pendant trois ans quand je travaillais au Mouvement Eucharistique des Jeunes (MEJ) comme aumônier national, il allait sur le compte commun de la communauté. Donc je ne vois pas d'argent sur mon compte bancaire, mais je demande de l'argent chaque mois pour les besoins que j'ai dans le mois à venir. On essaie de vivre l'Evangile dans ce sens-là, c'est à dire qu'on met tout en commun et on partage nos biens.
C'est pas parce qu'on fait un vœu de pauvreté qu'on est pauvre. C'est quelque chose vers lequel on tend, qui nous anime, qui nous guide. Il y aurait quelque chose qui pourrait être un peu culpabilisant, de se dire ces gens-là, ils ont fait vœu de pauvreté ou je ne sais pas quoi et il y a une sorte de perfection qu'ils ont atteint ou dans laquelle ils vivent...
C'est plutôt un moteur, c'est quelque chose qui nous anime, ce n'est pas parce qu'on est religieux et qu'on fait ces vœux-là, qu'on a l'apanage de ces choses-là. Tout le monde peut vivre ça dans sa vie. Mais voilà, juste pour dire que ce n'est pas un état fini, que la pauvreté, c'est vraiment quelque chose dans une dynamique recherchée. La pauvreté pour la pauvreté, ça ne marche pas.
En fait, la pauvreté, c'est pour s'approcher davantage du Christ, pour conformer notre vie davantage à la figure du Christ. Il ne faut pas confondre pauvreté et misère. Quand on est dans la vie, on se dit « j'ai pas envie de supprimer telle chose ou telle chose parce que j'ai peur de tomber dans la misère. » Dès qu'on va parler de la pauvreté, on peut avoir tout un imaginaire qui se déploie, de se dire « je vais finir dans la rue, est-ce que c'est vraiment ça la joie ? »
Peut-être la joie parfaite de saint François d'Assise, mais je crois qu'on soit tous appelés à vivre ça. Donc ne pas confondre pauvreté et misère. Le Seigneur ne souhaite pas notre malheur, ce serait une mauvaise compréhension de Dieu. Par contre, le Seigneur nous dit dans l'Evangile « Regardez les lys des champs, regardez comme ils sont beaux, comme ils poussent. Ils ne s'en font pas, en fait, pour leur avenir. Vous, ne vous en faites pas de ce que vous mangerez, de la manière dont vous vous vêtir. Mais rechercher le Royaume de Dieu et sa justice. » (Mt 6, 28-33)
Et il y a quelque chose d'essentiel là, c'est de couper un peu de superficiel pour se tourner vers l'essentiel qui est la recherche du Royaume de Dieu et sa justice.